- Érotique ou pornographique ?

Je me suis souvent posé cette question, en mesurant la limite de ma culture et de mon intelligence. Je ne sais pas bien y répondre, autrement que par un ressenti assez primaire.

Si je prends l'érotisme en tant que construction humaine qui m'amène au désir sexuel, la musique (le rock ou, du moins, la musique énergique de la jeunesse) est, à ce titre, une des formes artistiques les plus érotiques pour moi. Ce n'est sans doute pas un hasard si j'ai crevé la cerise avec un guitariste (oh, bien tard, à 17 ans - je réponds ici à une question qui m'a été posée plusieurs fois).

La guitare revêtait, pour la pucelle que j'étais jusqu'alors, un caractère phallique, et la voix des chanteurs énervés m'excitait autant qu'une langue dans la fente. Je tiens le rock pour l'art le plus viril, ce qui correspond assez bien à mon inclination viscérale pour les hommes. Ont-ils, ces musiciens, au moment de la création de leurs oeuvres, la conscience de "faire de l'érotisme" ? On est loin de la littérature d'Anaïs Nin ou, mieux, des statues de Praxitèle... Faut-il systématiquement représenter le corps pour provoquer le désir du corps ? Sont-ce réellement leurs chansons, qui sont érotiques, ou bien le fait que celles-ci soient directement issues du corps d'hommes qui ondulent lascivement du bassin ? L'érotisme naît-il plus dans la main, dans la sueur de l'artiste ou dans l'oeil du spectateur (il paraît que maintenant, il faut dire "regardeur") ?

J'ai vu de nombreuses personnes s'interroger sur la différence subtile entre pornographie et érotisme en des mots bien plus savants que moi. Ces deux façons de parler du sexe peuvent-elles cohabiter ? Peut-on donner une oeuvre à la fois érotique et pornographique, ou bien les deux genres sont-ils incompatibles, de sorte qu'il faille choisir l'un ou l'autre ? Le dictionnaire indique que certaines représentations artistiques étaient autrefois considérées comme obscènes (pornographiques) mais, aujourd'hui, relevées au rang d'érotisme, propres à induire le désir mais sans -donc- obscénité. Là encore, la frontière est mince et relève du contexte socio-culturel. Tout comme la pudeur, d'une façon générale.

Il en faut beaucoup pour me choquer, mais mon excitation peut naître aussi bien du récit subtilement ambigü d'un père avec sa fille (sans qu'aucune description sexuelle, à proprement parler, ne soit faite), aussi bien que de photos zoophiles absolument dégueulasses. Le cinéma pornographique tel qu'on le voit sur Canal + me laisse de marbre. La représentation consensuelle, archi-codifiée jusqu'au ridicule (les mêmes actrices, au même sexe épilé, les mêmes talons aiguilles, la même lumière factice, les mêmes décors qui sortent des studios d'AB Productions, les mêmes ressorts scénaristiques en forme de pauvre excuse, les mêmes positions, dans le même ordre...) et surtout dénuée de ce qui m'excite réellement, à savoir la prise de plaisir de la femme (la plupart du temps, les réalisateurs n'essayent même pas de simuler l'orgasme féminin, comme si on se foutait royalement de ce dernier et que seule comptait la sacro-sainte éjac' faciale), tout cela ne m'éveillerait qu'un vague tressautement des poils du cul - si j'en avais - et encore faudrait-il que je sois en période de disette...

Je dirais, pour le cinéma, que mon "ressenti primaire" me pousse à faire une différence entre érotisme et pornographie à travers ce formatage. Dans un cas, nous avons une industrie qui s'assume comme telle, fabriquant à la chaîne un produit qui, tel le Big Mac, aura toujours le même goût, de Paris à New York. Un produit à destination masturbatoire, sans la moindre prétention artistique. Et qui, comme toute industrie capitaliste, use ses ouvrier(ère)s comme des kleenex. De l'autre, des artistes, ou qui se prétendent tels (nous pourrions poursuivre en digressant un peu sur l'imposture artistique), qui représentent le sexe et, surtout, le rapport de l'humain au sexe. Breillat, à mon sens, appartient à cette catégorie. Je dirais que la frontière est toutefois plus mince, moins évidente, dans le cas de Baise-moi, le film de Virginie Despentes et Coralie Trinh Thi, qui ont d'ailleurs employé des actrices du porno et les ont montrées en train de jouer des scènes où elles se faisaient réellement -et sans trucage- enfiler.

Bien sûr, lorsque Despentes représente ses héroïnes en train de tuer une femme d'un coup de pistolet, elle utilise un trucage et ne montre pas réellement une scène de meurtre. Alors pourquoi les montrer réellement en train de baiser ? Peut être nous interroge t-elle sur une forme de morale ? Peut-être veut-elle exciter le spectateur, pour le captiver dans une histoire, sans cela, profondément déprimante ? Pour le mettre mal à l'aise, voyeur coincé entre Eros et Thanatos ? N'aurait-elle pu nous exciter en suggérant l'acte sexuel ? Ou en le montrant truqué, de sorte que nous aurions su que les actrices ne s'étaient pas vraiment fait enfiler par leurs partenaires pendant le tournage ? Cette question du réel ne peut nous quitter pendant le film, on ne peut réagir tièdement, car il y a là des vraies femmes qu'on fait enconner par des vraies bites, et l'on ne sait plus bien dans quel niveau de réalité on se trouve.

Une chose est sûre, je ne qualifierais pas le film d'érotique, puisqu'il parle de tout sauf de plaisir, je crois. Erotique, peut-être pour d'autres, après tout... mais moi, sans doux gémissements ni petits cris d'oiseau de paradis, sans chair de poule sur la cuisse ni larme de jouissance entre les cils, je reste froide. Admirative d'une telle absence d'affect narratif, mais froide.

J'en viens à mon propre travail. Juste pour dire que cette question m'a occupé l'esprit quand j'ai ouvert ce blog. Section adulte ou Journal intime ? Pornographie ou érotisme ? Obscénité ou sublimation du réel ? Oui, l'écriture m'est un élan vital, mais elle est aussi "sous contrôle". J'aime captiver mes lecteurs, mais je ne m'excite pas de leur excitation. Je m'excite de leur tendresse à mon égard, malgré mon apparente obscénité.

Il dira qui il est dans les commentaires s'il le souhaite, il a écrit, au sujet de mon blog : "Ca pique un peu, tellement -parfois- c’est fort… ;-) On se dit « bon Dieu, je ne pourrais pas tomber amoureux d’une fille comme ça »".

Mais d'autres bandent devant "l'érotisme moite" qui coule en sombres rigoles le long de mon blog. Je fais à certains l'effet inverse que je fais à d'autres, et vice versa... alors : érotique, ou pas ? Obscène ou écrivaine (vous voyez comme je me prends très au sérieux) ?

Cette contradiction du désir de mes lecteurs, et la victoire, parfois, de celui-ci sur l'effroi, c'est bien là mon plaisir.

#86

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