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3 novembre 2010

#90

Une des manifestations de ma schizophrénie les plus étranges, et néanmoins vécue dans la plus parfaite illusion de normalité, est l'hallucination olfactive. La toute première de ces hallucinations parfumées, je l'ai expérimentée à l'âge de quelques mois, devant l'étal coloré d'un marchand de bonbons. Je n'avais jamais goûté aucun bonbon, pourtant je ressentais physiquement et avec une violence inouïe ce parfum rose fuchsia qui a envahi mon palais et jusqu'à mes sinus. Comme dans un dessin animé, j'avais l'impression qu'une main gazeuse me tirait par le nez vers cet étalage de confiseries - sauf que je ne pouvais ni marcher, ni parler. Je me souviens avec la même clarté de ma frustration, quand je ne réussissai pas à expliquer à ma mère qu'il me fallait goûter ces choses, ne parvenant qu'à geindre un son informe. 

J'ai appris, question de survie, à discriminer les effluves comme un chien policier flaire une dose d'héroïne dans une montagne de valises. Désormais, quand j'hallucine une odeur, je sais comment la retrouver ensuite. La plupart du temps.

Je me souviens avoir halluciné mon parfum, enfin, mon parfum idéal, de nombreuses fois, des centaines de fois, entre 15 et 30 ans, avant de me pâmer en reniflant trois gouttes de S******* évaporées dans la chaleur de mon poignet. La petite vendeuse en tailleur noir ne pouvait pas se douter du long chemin qu'il m'avait fallu parcourir pour arriver jusqu'à cet élixir magique, qui me définit dans une quasi-perfection. Et ma douleur fut tout aussi grande, le jour funeste où j'ai su que ce parfum cessait d'être commercialisé (comme souvent, pour les vieilles compositions, qui coûtent un oeil à fabriquer). Depuis je rechigne à en porter plus d'une goutte à la fois, les jours de fête uniquement.

Le reste du temps, je repasse à mes petites oeuvres d'art en flacon, qui me font moins me sentir "moi" (littéralement), mais que j'aime comme on aime Mozart. Ou Bach, je ne suis pas sectaire. Il y a le sec Chergui, qui se réchauffe en descendant de l'Atlas, chargé de résine suave, de tabac et d'air brûlant, et puis le capiteux Rahat Loukoum, royale pâtisserie qui, bien avant le revival "colle Cleopatra" de Castelbajac, a exhalé l'amande amère et la cerise liquoreuse. Je ne suis ni Chergui, ni Rahat Loukoum mais, parfois, j'aime me déguiser. Fin 98, je rejoignais un amant hospitalisé boulevard Saint-Marcel, nue sous mon manteau, la peau ruisselante du précieux nectar de Lutens sous les seins et dans les fossettes de mes hanches, quand un homme m'a abordée dans la rame de la ligne 5 : "Oh ! Vous sentez bon !" a t-il dit, spontané. C'était la première fois qu'on m'abordait sous l'angle de la drague olfactive. Même pas la drague, d'ailleurs, c'était assez magique, je sentais tellement bon que l'on se retournait sur mon passage... un instant unique, malheureusement (ça se saurait, si on avait inventé l’élixir imparable... n'empêche que je me suis rarement sentie aussi proche du pouvoir des sirènes qu'à ce moment-là).

Pour en revenir à mes hallucinations, je sens, très distinctement, parfois, une odeur absente. Elle peut être brute et simplissime (le sucre chaud de la barbapapa), ou follement élaborée (en tête une absinthe qui prend tout le nez sur une délicate et quasi-chimique infusion ricola, quelques herbes fraîches coupées à la main et un fond de pneu brûlé, ce matin, ou une entêtante écorce de mandarine autour d'un coeur de miel, de noisette laiteuse un peu trop jeune, de tabac et de sexe d'homme, tout à l'heure, quand G se rhabillait... je digresse en écrivant que 1/ça fait un mois qu'il ne fume plus ; 2/j'ai beaucoup de mal à gérer notre étrange amour, en ce moment... et pourtant nous avons encore baisé aujourd'hui, et j'ai encore eu faim et soif de sa queue, et j'ai encore pris mon pied comme une folle).

Les hallucinations viennent souvent en contrepoint d'un désir violent, pour un homme, mettons, comme le nourrisson hallucine le sein maternel, je me calme en produisant des fragrances imaginaires. Plus c'est chargé en sucre, plus mon désir est grand, sans doute en rappel à ce tout premier plaisir hallucinatoire, dans ma poussette. Et sans doute parce que le sucre est le premier goût qu'un fœtus discrimine (et dont il tire du plaisir) dans le liquide amniotique qu'il tétouille, pendant la gestation. A ce plaisir primal, j'aurais plutôt associé un désir ad-hoc. Mais c'est tout l'inverse : les parfums les plus sophistiqués accompagnent la bestialité infantile de mon amour pour G. Et plus mon désir pour l'homme s'étoffe, grandit et se civilise (comme pour l'amant de l'ombre, que j'ai aimé bien plus que je n'ai su le lui écrire, et bien plus que n'importe quel autre homme qui a traversé ma vie ces dernières années, et ça ne se réduisait pas au sexe, ne lui en déplaise, j'ai été mise en miettes par le plus absurde des sentiments), plus le parfum se simplifie, jusqu'à fondre en lignes de sucre blanches et roses dans le devant de mon crâne. Il n'y a presque plus de parfum, ne reste que cette brume collante qui étourdit et qui apaise.

Et puis la caravane passe, s'éloigne et disparaît, loin sous le sable.

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Commentaires
M
je suis tombée amoureuse d'un homme dont le parfum me rappelait une aventure tellement joyeuse et insouciante de ma folle jeunesse que ces simples effluves me faisaient l'effet de douloureux coups de poignards. J'aurais voulu qu'il m'embrasse sous la pluie (un de mes fantasmes) et coucher avec lui juste pour le respirer tout mon saoûl et revenir 15 ans en arrière. je ne l'ai pas fait. Je ne sais pas si c'est dommage ou pas.
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A
Pour le passage, le clin d'oeil, le partage, merci.<br /> Continue d'halluciner, tu le fais très bien.
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Avant-propos

Lecteur, lectrice,
Mon nom est (presque) Coppélia Brulé et ceci est (presque) mon histoire. 
Génétiquement bizarre, tenant autant de la méduse que de l'homo erectus, j'essaye de vivre parmi les humains. 

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